samedi 8 février 2014

Cambodge - Phnom Penh

Me voici au Cambodge depuis deux semaines. On m'a dit: "dix jours, c'est bien assez". Et au bout de cinq jours, je sentais déjà que ce ne serait pas suffisant. J'ai donc prolongé et ça en valait la peine.

J'ai atterri à Phnom Penh. C'est la saison sèche, en ce moment. De l'avion, j'apercevais des plaines desséchées parsemées de palmiers à sucre. A l'arrivée, un tuk tuk m'a amenée à mon hôtel par une route nationale poussiéreuse sur laquelle voitures, tuk tuk, vélos et motos conduisaient au coude à coude. J'ai commencé mon séjour par un peu d'histoire, direction le palais national. 

Comparé aux fastes des temples de Bangkok, il n'est pas très impressionnant, mais le guide était intéressant. Le retour du roi, dans les années 90, Norodom Sihanouk, a marqué le début d'une période plus apaisée. Il n'exerce pas le pouvoir, mais il occupe une place symbolique importante. Depuis 2004, c'est son fils, Norodom Sihamouni, qui vit au palais. Tout seul. Sans enfant, ni femmes. Un roi? "C'est son choix", m'a-t-on répondu. Il a fait des études d'art, a été professeur de danse classique à Paris puis a contribué à promouvoir le ballet classique du Cambodge au patrimoine de l'humanité. 

J'ai assisté à un spectacle Plae Plakaa, au Palais royal, et j'ai été assez impressionnée. Ces deux types de danse se rapprochent par leur sens du détail, de la grâce et de la perfection jusque dans la position des doigts, en ajoutant, pour le Cambodge, le chant et l'expressivité des danseurs. C'est d'autant plus admirable que sous les khmers rouges, de 1975 à 1979, l'élite artistique et intellectuelle du Cambodge a été décimée. En 1998, un programme de soutien à quelques artistes a été lancé pour assurer la transmission ; il a fêté ses quinze ans en 2013, après avoir contribué à former une nouvelle génération aux arts traditionnels du théâtre, de la musique et de la danse. 

Ma seconde journée à Phnom Penh était dédiée à l'histoire contemporaine du Cambodge. Une visite sur le site de Choeung Ek, autrement dénommé "killing fields", une autre à la prison Tuol Sleng ou S21. Sous la dictature des Khmers rouges, S21 servait de lieu d'interrogatoire. Torture, exécutions, aveux forcés et imaginaires au programme. Y étaient enfermés tous les opposants supposés au régime, enfants compris. Moins de 200 survivants auraient été recensés sur les 16 à 20000 personnes qui y ont été conduites. A la libération de la prison, il n'y avait que sept survivants. Celle-ci était installée dans une école primaire. Elle est restée pratiquement en l'état et l'atmosphère était encore pesante dans ses pièces. Pour ceux que le sujet intéresse, Rithy Panh a réalisé un documentaire assez saisissant sur Duch, l'homme qui dirigeait cette prison, dans lequel il recueille la parole du bourreau tout en la mettant en perspective avec des archives (Duch, le maître des forges de l'enfer). Choeung Ek est la suite logique de S21: c'est un lieu d'exécution où plusieurs charniers ont été découverts. Les exécutions se faisaient sans balles, avec les outils disponibles. Je vous passe les détails.

Personnellement, dans le lieu suivant, je n'avais pas trop envie de rire. Mais on n'est jamais trop prudent:

 



Des visites difficiles, mais incontournables. Les Khmers rouges ne sont réellement tombés qu'à la fin des années 90 et pendant longtemps, les bourreaux ont représenté leurs victimes sur la scène internationale, à l'ONU. Les Cambodgiens que j'ai rencontrés sont très allusifs sur le sujet: "on devait travailler beaucoup", "on nous a déplacés de l'autre côté du fleuve"... Point. La plaie est encore ouverte. Le premier ministre actuel est un ancien milicien. Son gouvernement, soutenu par les Vietnamiens, est autoritaire et corrompu. Sa victoire aux dernières élections, suspecte. L'opposition? Didier, un Français qui vit depuis sept ans au Cambodge n'était pas très optimiste: "Son leader, je l'ai connu. Il ne vaut pas mieux. La seule différence, c'est qu'il veut mettre tous les Vietnamiens dehors. Comme si le Cambodge avait besoin d'une nouvelle guerre civile". Je suis arrivée au Cambodge quinze jours après la manifestation dont la répression a causé la mort de quatre personnes. Les ouvriers et l'opposition se rejoignent. En tant que voyageuse, on n'en voit rien. On entend seulement des bribes, une phrase de son chauffeur du jour - "On a besoin d'un nouveau gouvernement; celui-là agit contre la population" - ou l'interrogation d'une adolescente de 17 ans, bonne élève, qui trouve que "la politique, c'est compliqué" et conclut que "troubler l'ordre public, c'est mal"... Je me demande à quelle information elle a accès. J'aimerais voir de l'espoir dans la jeunesse qui a accès à un minimum d'éducation et dont le dynamisme est sensible. Didier vous dirait "Qu'y pourra-t-elle? Le système est pourri. Le Cambodge est tenu par les Vietnamiens, sans compter les visées de la Thaïlande et de la Chine sur ses ressources".

Et malgré ça, malgré des salaires de rien, malgré la pauvreté du pays, connu pour ses enfants des rues et destination privilégiée du tourisme sexuel, malgré la corruption et ce passé terrible, les Cambodgiens, par leurs sourires et leur sens de l'accueil, rendent le voyage dans ce pays mémorable. J'ai demandé à Didier pourquoi il restait, avec sa vision si noire de l'avenir du pays: "Pour les gens, m'a-t-il répondu, ils sont merveilleux". Dans les prochains articles, promis, on passe à des sujets plus gais.

Et sinon, Phnom Penh, dont je manque malheureusement de photos, m'a bien plu: vivante, dynamique, chaotique... Ceci dit, je n'ai pas rencontré sa face sombre. 

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